Potemkine devient le premier gouverneur russe de la région et fonde aussitôt un port militaire à la pointe de la péninsule, Sébastopol (« ville impériale »). La tsarine y effectue un voyage triomphal en 1787, en compagnie de l'empereur d'Allemagne Joseph II.
La conquête est complétée par le traité de Iassy, le 9 janvier 1792, par lequel le sultan cède aux Russes le littoral compris entre le Dniestr et le Boug (Ukraine actuelle). En 1794, Catherine II y fonde un nouveau port, Odessa (d'après le nom grec d'Ulysse, Odyssée !). Elle en fera la « Saint-Pétersbourg » du Sud. Une grande partie des habitants musulmans de cette « Nouvelle Russie », Crimée incluse, refluent vers l'empire ottoman. Ils sont remplacés par des colons russes.
Au XIXe siècle, les tsars se prennent de passion pour leur conquête méridionale, laquelle va leur coûter beaucoup de sang... En 1854-1856, Sébastopol et la Crimée donnent lieu à une guerre meurtrière et quelque peu absurde entre la Russie et une coalition franco-anglo-sardo-ottomane. Désireux d'oublier le drame, Alexandre II fait construire à Livadia, près de Yalta, une magnifique résidence d'été où il profite en famille de la douceur du climat. C'est dans cette résidence que seront conclus les accords de Yalta en 1945.
Dans le même temps, entre 1859 et 1862, la plus grande partie des Tatars de Crimée se réfugient dans l'empire ottoman. Ceux qui restent ne représentent plus guère que le dixième des habitants de la péninsule. Après la Révolution de Novembre 1917, ils seront néanmoins courtisés par les bolchéviques, désireux de contenir les visées indépendantistes de la majorité russophone, et bénéficieront d'une reconnaissance officielle de leur langue. Mais cette lune de miel ne dure pas...
Avantages et inconvénients d'une situation stratégiquePendant la Seconde Guerre mondiale, la Crimée est envahie par la Wehrmacht et Sébastopol capitule le 4 juillet 1942. Près de cent mille Juifs sont exterminés... à l'exception de la minorité dissidente des Karaïtes, qui revendique sa filiation ec les Khazars. Lors de la reconquête, en 1944, les Soviétiques sévissent brutalement contre les minorités suspectées de collaboration ec l'ennemi, les Grecs, Arméniens, Bulgares et surtout les Tatars. Du 18 au 20 mai 1944, 191 000 Tatars de Crimée sont raflés sur ordre de Lrenti Beria, le chef du NKVD, la police politique, et déportés en Asie centrale.
Après quoi sont accueillis à Livadia les chefs d'État alliés pour la conférence de l'après-guerre.
La Crimée, qui ait le statut de République dans la première Union Soviétique, est rétrogradée au rang de région (oblast) le 30 juin 1945. Et en 1954, pour commémorer le tricentenaire du rattachement de l'Ukraine à la Russie par le traité de Pereyasl (18 janvier 1654), la péninsule est rattachée à la République d'Ukraine par Nikita Khrouchtchev (d'origine ukrainienne). Une décision à vrai dire symbolique tant est grande la centralisation au sein de l'URSS. Mais il n'est pas interdit de penser que Khrouchtchev voulait aussi de cette façon accroître la part de russophones en Ukraine et réduire les velléités identitaires, voire indépendantistes, de l'Ukraine.
Quand l'URSS implose, les Criméens sont très officiellement consultés par le Parlement de Kiev le 12 janvier 1991. Le référendum se traduit par un taux de participation de 81,37%. 94,3% des votants se prononcent en feur du rétablissement d’une république de Crimée indépendante membre du nouveau traité de l’Union proposé par Gorbatchev et donc séparée de l'Ukraine. Mais dès le mois suivant, le Parlement ukrainien revient sur sa décision et casse le vote des Criméens.
Devenue indépendante le 24 août 1991, l'Ukraine conserve donc la Crimée sous sa coupe tout en laissant à la Russie la maîtrise de la base nale de Sébastopol. En février 1992, dans le désordre ambiant, les Criméens prétendent fonder malgré tout une république de Crimée. En 1995, l’Ukraine suspend son président et abroge sa Constitution tout en proclamant une République autonome de Crimée au sein de l’Ukraine.
Au tournant du XXIe siècle, le président russe Vladimir Poutine accepte mal le maintien de la Crimée et Sébastopol sous la férule de Kiev, d'autant que l'Ukraine prétend adhérer à l'Union européenne, voire à l'OTAN. Les manifestations de la place Maïdan, à Kiev, de novembre 2013 à février 2014, remettent tout en cause en emportant le gouvernement russophile de Viktor Ianoukovitch. Celui-ci est révoqué par le Parlement de Kiev le 22 février 2014. Le nouveau régime n'a rien de plus pressé que d'abolir le statut de deuxième langue officielle dont bénéficie le russe.
L'Est russophone du pays se révolte aussitôt et la Russie s'empresse de lui apporter son soutien. Dans le même temps, dès le 28 février 2014, des soldats russes s'infiltrent en Crimée tout en retirant les insignes qui les identifient.
À Simferopol, capitale de la Crimée, le coup de force de Kiev conduit le Conseil suprême de Crimée à proclamer son indépendance le 11 mars 2014. La décision est validée par un référendum le 16 mars 2014. Le lendemain, la Russie reconnaît l’indépendance de la Crimée. Le surlendemain, Simferopol signe ec Moscou un traité de rattachement à la Fédération de Russie. 70 ans de passé ukrainien se voient effacés sans qu'une goutte de sang ait été versée (note).
À défaut de continuité territoriale entre la Crimée et la Russie, le président russe lance sans attendre la construction d'un pont routier de 18 km par-dessus le détroit de Kertch qui sépare la mer d'Azov de la mer Noire. Le pont est inauguré en 2018 et les Ukrainiens s'offriront le luxe de le saboter le 8 octobre 2022, au plus fort de la guerre entre Kiev et Moscou.
André Larané